Qui sont les autres ?

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Extrait d’un entretien avec Christine Delphy paru dans Migrations et sociétés en janvier-février 2011

 

L’“Autre” c’est donc quelqu’un qui n’a pas droit à la parole. Tandis que “d’autres que les Autres” parlent des “Autres” mais ne se désignent jamais. J’ai appelé ces derniers les “Uns”. Les “Uns” sont ceux qui ont le pouvoir de désigner qui est “Autre”. Il y a des “Autres” parce qu’il y a des “Uns”. Ces “Uns”-là sont “derrière les autres” dans le sens où ils sont cachés, mais les “Uns” sont premiers, les “Uns” sont ceux qui créent les “Autres”. Après ils se posent des questions sur ces “Autres”, et surtout : faut-il les accepter ?
Pourquoi parlent-ils à la place des “Autres” ? Il n’y a pas de mystère là dedans : ils parlent à la place des “Autres” tout simplement parce qu’ils ont fait les “Autres”. Ils n’arrêtent pas de raconter la “différence” des “Autres”, et donc de se recréer eux-mêmes sans arrêt comme “Uns”. Ils sont les détenteurs de la parole, ils sont en droit de nommer la société, de la diviser en groupes, dont ils sont le groupe dominant, et cela se révèle par leur pouvoir à la fois de créer les “Autres” et de se créer eux mêmes comme “Uns”, comme “non-Autres”.

(…)

Si on se place à ce niveau du discours, ces gens qui souffrent de discrimination sont en même temps appelés des “Autres” : ces deux faits sont reliés dans la tête des “Uns” et sont reliés aussi dans la tête des “Autres”, à qui on répète sans arrêt qu’ils sont traités différemment
 parce qu’ils sont différents, que c’est en raison de leur altérité qu’ils subissent le traitement qu’ils subissent. On leur dit : « C’est parce que vous êtes Autres ». Les gens qui sont les “Autres” intériorisent cette explication.
Ils n’ont pas le pouvoir : ils n’ont pas le pouvoir de nommer, ils n’ont pas le pouvoir de retourner aux “Uns” l’appellation “Autres”, ils n’ont pas même le pouvoir de se nommer eux-mêmes. Leur nom leur est donné par les “Uns”. Jusqu’au jour où ils se rebellent un peu contre cela.

 

source: http://lmsi.net/La-construction-de-l-Autre

NOUS n’avons pas les mêmes objectifs ! (3)

14 - Filtre  huile

– Briser les stéréotypes : « Schizophrénie = violence/ Dépression = manque de volonté, faiblesse de caractère/ Malade mental/ psychique = irresponsable, incapable »

Autant le programme de briser les stéréotypes me plaît, autant les exemples qui l’accompagne montre bien les limites et le désir de limitation de ce qui pourra ou non être briser.

Les questions que devrait sous tendre le désir de briser les stéréotypes pourraient être :

Comment ça naît un stéréotype ?

Qui les fabriquent ?

Est-ce que le fait de traiter une population par l’internement, l’isolement, la contention, l’injection, la stérilisation ou la mise sous tutelle pourrait servir à limiter les stéréotypes dont nous souffririons ?

Est-ce que la moindre de ses pratiques contribue réellement au bien être des individus ?

Ou permettent-elles seulement d’assurer la cohésion sociale au sein du monde du travail ?

Est-ce que les stéréotypes ne servent pas cette même cohésion ?

Peut-on penser qu’il y a un lien direct entre les murs de l’H.P et la façon dont on se juge de part et d’autre de ce mur ?

Doit-on considérer que ce mur est à ce point dans toutes les têtes que la moindre déviance devient une maladie, la moindre tristesse une dépression, le moindre changement d’humeur une bipolarité et la moindre incohérence identitaire une schizophrénie ?

Doit-on estimer que les professionnels de la santé mentale n’ait aucun rapport avec l’élaboration et le maintien de ce mur ?

Peut-on considérer que le niveau d’auto-contrôle auquel nous sommes parvenu prend appui sur des ensembles de pré-jugés, de pensées toutes-faites alimentées par tous les domaines ou s’immiscent les lobbys, véhiculées par la pub, la plupart des grands médias et les grosses production hollywoodiennes, amplifiées par des effets de conformisme et de saturation des réseaux sociaux, et enfin prolongées par tout un chacun ?

N’est-ce pas justement la fonction des stéréotypes, comme pour ceux de genre, de maintenir un certain type de pouvoir, une certaine norme ?

Dans ce cas ne vaudrait-il pas mieux s’attaquer directement à un pilier majeur de cette norme : la pensée psychiatrique ?

Ne faudrait-il pas également neutraliser l’action de celles et ceux qui en sont les gardiens les plus prosélytes : les lobbyistes des laboratoires pharmaceutiques et leurs fidèles relais, psychiatres, pharmaciens, directeur d’établissement ?

Peut-on se permettre d’envisager que tout ce qu’ils ont réussis à faire passer comme des évidences n’en sont peut-être pas ?

Comment éviter le piège de la simplification ?

Comment rester capable d’agir tout en étant matraqués en permanence d’informations spectaculaires et contradictoires ?

Enfin comment ne pas véhiculer soi-même par son discours des formes de stéréotypes ?

Voilà quelques questions que le comité d’organisation de la madpride ne semblent pas s’être posées…

 

NOUS n’avons pas les mêmes objectifs !(2)

19 - Direction

 

– Lutter contre les préjugés qui les touchent.

Qui LES touchent ? EUX ? Qui ça EUX ? Ha oui… NOUS ! EUX ça veut dire NOUS en fait … C’est vrai… J’avais oublié que c’était EUX qui parlent, enfin pas NOUS justement !
Nous on exprime pas vraiment ce qu’on ressent, ce qu’on vit. On sait pas faire ça, nous…
Ou alors de manière tellement dérangée et dérangeante que les gens ne vont rien comprendre.
C’est justement ça qui fait qu’après, NOUS, les pshychosés, les atteints, les « pas-normal » , les fadas… on a l’impression qu’ EUX, les normosés, les « qui-vont-bien » – vous en connaissez beaucoup des « qui-vont-bien » ? – On à l’impression qu’ils veulent parler à notre place, nous donner des conseils sur la façon dont on devrait prendre leurs préjugés ou leurs médocs et ça nous reste un peu en travers.
C’est justement avec ce genre de petits sous-entendus – du style: « c’est eux que ça touchent pas nous » – qu’on les nourrit, les préjugés !
C’est bien avec des systèmes de protection pour pas que ça se répande, les maladies, les idées folles, les révoltes et l’inattendu pour pas qu’on aille les contaminer avec nos « délires » et nos idées mal fagotées , qu’on se retrouve tous, même eux , encerclés par les des a-prioris, des barrières de mots et des murs dans la tête !
C’est justement ce genre de petites nuances – nous allons lutter pour eux – qui creuse le fossé, la schyze comme y disent les spécialistes… entre eux et nous, ceux qui préjugent et ceux qui sont touchés.
Les mots c’est pas juste des mots. Ça « touche », justement. Ça peut blesser ou guérir, ça peut éloigner ou rapprocher, ça peut endormir ou réveiller. Et là, ce genre de phrases, elles ont un arrière-goût de lexomil® !
Ce genre de petites phrases y’ en a plein les plaquettes médicales et les forums de dépressifs. Elles sont pas innocentes. Elles ont été pensées, admises collectivement et imprimées à des milliers d’exemplaires, jusqu’à faire partie du décor. A tel point qu’on ne les remarque plus. A tel point que quand c’est ta mère ou ta meilleure pote qui te la ressort, tu te demandes si c’est encore la peine de signaler qu’elle recouvre des sous-entendus validistes. Oui, parce que supposer que EUX ne savent ni se défendre, ni s’organiser c’est du validisme et ça te concerne surement (1) !
C’est pour ça que NOUS, celles et ceux qu’arrivent plus à dormir à force d’être touchés par les préjugés, on aime pas trop l’idée de se faire endormir par ce genre de petites phrases écrites avec des bons sentiments remplis de pré-jugés, tu comprends ?
C’est qu’ y comprennent vraiment rien, EUX ! Puisque NOUS au moins on sait qu’EUX ET NOUS c’est pareil , ON existe pas ! Ni eux, ni nous ! ON existe que dans la tête de quelques délirants qui se prennent pour de savants spécialistes des syndromes des autres, qui savent où les ranger et qui voient des frontières partout ! Mais avec leur façon de dire les choses si normalement et si catégoriquement , on en viendrait presque à croire qu’il existe vraiment deux catégories de gens : EUX et NOUS.
Mais moi je sais que c’est pas vrai ! C’est NORMAL , je suis schizophrène !

(1) : http://www.infokiosques.net/spip.php?article184

NOUS n’avons pas les mêmes objectifs ! (1)

Quelques commentaires « déplacés » à propos des objectifs affichés de la première mad pride parisienne

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Les objectifs(1) sont les suivants :

– Revendiquer haut et fort le respect et la dignité pour les usagers en santé mentale.

– Dénoncer la stigmatisation des usagers en santé mentale.

 

 

On est pas « usagers » de la santé mentale ! On peut-être usager des transports en commun, oui…

Mais pour ce qui est de l’H.P, même ceux qui choisissent d’y aller de leur plein grès , c’est pas vraiment comme s’ils avaient le choix.

On essaye tant bien que mal de s’en sortir dans un monde plutôt dur à vivre

en composant avec les problèmes des autres qui s’entremêlent étrangement avec nos propres difficultés.

On est pas non plus forcément des « patients » !

Dans ce cas là je préfère le terme de « psychiatrisé-es ».

Ça dit plus que quelque chose est opéré sur quelqu’un – quelque chose comme une opération –

plutôt que de faire croire insidieusement que quelqu’un a bien voulu « user » des services de santé mentale.

Et c’est plus ouvert, puisque dans un monde où chacun subit à sa manière la pression des normes et du regard d’autrui, nous sommes toutes et tous des psychiatrisé-es !

De l’autre coté de l’océan on parle de la colère des « survivants de la psychiatrie ».

Mais de ce coté-ci on est plus prude: on parle de « la dignité des usagers en santé mentale ».

(1): Les objectifs les plus largement diffusés comme étant ceux de la madpride 2014

 

A PROPOS DE LA MAD PRIDE et du discours dominant sur la psychiatrie

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La madpride à l’origine a était impulsée par des survivants de la psychiatrie et reste toujours un moment convivial de dénonciation de ses pratiques. Sera-ce également le cas en france où le premier appel à une madpride est le fait d’associations directement ou indirectement complices de l’industrie pharmaceutique ?

Vous avez dit mad pride ?

La première mad pride eut lieu à Toronto le 18 septembre 1993, baptisée alors Psychiatric Survivor Pride Day (jour de fierté des survivants de la psychiatrie) en réponse aux préjugés dont furent victimes des habitants d’un centre d’accueil du quartier de Prakdale du fait de leur vécu psychiatrique. Cette journée d’action fut reconduite chaque année et fut reprise dans d’autres villes à travers le monde telles que londres, vancouver, turin, new york…
La madpride fut donc impulsée par des usagers, d’ anciens patients et des survivants de la psychiatrie avec généralement un mélange incongru de propositions festives et revendicatives, un moment convivial de dénonciation et de refus des violences de la psychiatrie .

Vous avez dit déstigmatisation ?

L’affiche la plus répandue pour appeler à une première mad pride en france le 14 juin 2014 se veut « un appel à un événement revendicatif et décalé (…) un grand moment d’expression libre. » Tandis que quelques revues spécialisées et des radios locales ressassent ce qui serait un des enjeu majeur de cet évenement : lutter contre la stigmatisation. Si la mad pride ne visait que la destigmatisation tous les participant-es risqueraient de travailler à leur insu pour l’essor des marchés pharmaceutiques.
Les campagnes de destigmatisation, font partie intégrante des stratégies de marketing appliquées par la plupart des grosses compagnies pharmaceutiques.(1) Au même titre que le contrôle des prescriptions, le dépistage précoce , l’abaissement des seuils admissibles, l’élargissement des indications nosographiques, l’amélioration de l’observance, la corruption des autorités de pharmacovigilance, la falsification des données de recherche, l’invention de pandémies, l’utilisation de cobayes…(2) Ces campagnes sont des enjeux financiers considérables pour les entreprises qui vendent des médicaments et les maladies qui vont avec.
Rien de telle qu’une destigmatisation réussie pour montrer à toute la population qu’être fou c’est être presque normal et que donc chacun, n’importe qui, peut-être suffisamment déprimée ou bi-polaire pour se faire traiter. Finalement ce n’est pas si grave , ça peut arriver à tout le monde et on peut même l’assumer au grand jour, en tirer fierté et défiler dans les rues. « On a tous un petit grain de folie !» proclame l’affiche. Il suffit juste de rajouter le discours courant sur la plupart des troubles psychiques et leur traitement pour nous transformer tous en promoteur ordinaire de benzodiazepines.
Sauf que les intérêts de celui ou celle qui ira faire le fou à la mad pride ne sont pas exactement les mêmes que ceux de sanofi-aventis, pfizer, roche, ou novartis par exemple. Alors que la plupart d’entre nous rêvons d’un monde enfin vivable où chaque singularité aurait sa place avec tout ce que cela suppose de souffrance en moins, les marchands de molécules n’espèrent qu’accroître leur clientèle avec tout ce que cela suppose de cynisme et de mépris de la vie.

Et surtout… Que chacun joue son rôle !

Entre-temps la plupart des médecins psychiatres, des médias, des associations de patients avec la complicité de l’entourage et des forums internet auront bien jouer leur rôle de relais, parfois inconscient,  de la propagande de l’entreprise.
Chacun semble avoir répondu positivement aux tests comportementalistes les plus rudimentaires : éviter la souffrance, fuir l’effort risqué de s’informer, ne pas questionner plus radicalement sa position, en particulier si on en obtient ou espère en tirer quelques privilèges, aspirer à la paix et à la déculpabilisation.
Il faut savoir qu’être souffrant, ainsi qu’accompagner une personne en détresse, bien qu’agissant à des niveaux très différents , s’accompagnent de forts sentiments d’angoisse et de culpabilité.
Dans un monde où le modèle économique prédominant est le capitalisme, toute souffrance est comme décuplée par les valeurs qu’on lui associe : la faiblesse, l’isolement, la mort… Rien alors ne soulage plus que de savoir qu’il existe un nom à cette maladie, qu’il y a déjà eu des recherches sur le sujet et qu’un traitement existe. Ce besoin de réassurance est tellement fort qu’on se trouve prêt à endosser le premier diagnostique venu et à prendre le remède correspondant les yeux fermés – dussions-nous le prendre à vie. Les marchands de pilules le savent mieux que quiconque et savent depuis longtemps en tirer bénéfices avec la caution de la plupart du corps médical.
On pourra même devenir le propre expert de sa maladie, apprendre par cœur le pourcentage de la population touchée, se sentir très concernés par certains symptômes, défendre avec passion les dépistages précoces, les dernières innovations en neurologies et offrir des services de publicité gratuite à tout ses amis en débitant le contenu de la brochure signée Big-pharma.
Accessoirement on aura passé sous silence les possibilités de réussir un sevrage progressif, évoquant à peine les risques d’un sevrage brutal parce qu’on a besoin de clients dociles ou de consommateurs irresponsables qui décompensent à tout va, pour faire du sevrage un tabou.

Serait-ce de la paranoïa ?

Il se trouve que les bureaux de la communication chez sanofi par exemple, on déjà pris les devant pour museler les journalistes dissidents, récompenser les médecins fidèles ainsi que pour inciter les patients à ne plus remettre en cause leur prescription.
Voilà à présent que leurs associations de terrains récupèrent ce qui était à l’origine un mouvement de contestation de leur suprématie. C’est un peu comme si l’appel à la première gay pride avait été rédigée par des hétéros compréhensifs pour faire connaître les préjugés dont sont victimes les minorités sexuelles… Ce n’est pas une hallucination, ni un délire paranoïaque. Il se trouve qu’actuellement la critique la mieux médiatisée des institutions psychiatriques est portée par des associations dont la plupart sont d’une manière ou d’une autre compromises avec lesdites institutions. Ce n’est pas toujours de leur faute, c’est souvent suite à une somme de compromis pour pouvoir être entendus que ce soit par les ministères ou le grand public.
Par exemple si on ne veut pas voir les gens changer de trottoir quand on leur parle d’électrochoc ou de camisole chimique, il faudra policer un peu son discours et ne pas avoir l’air trop radical. On dira alors plutôt sismo-thérapie et traitement neuroleptique. On ne dira plus psychiatrisés, ni aliénés on dira « usagers en santé mentale » … On aura soin d’éviter de soulever les questions éthiques autour des pratiques de contention ou des limites au non-consentement. On finira par reprendre les mêmes refrains que les fournisseurs : « blablabla, maladie qui touche 1 français sur cent, mais neuroleptique très bien pour masquer symptômes, traitement à vie sans effets secondaires ou presque… » et bien sûr il est impensable d’imaginer que la maladie mentale soit un délire de médecin ou puisse s’étendre au-delà des seuls individus atteints.
Pour la plupart des psychiatrisés intégrer ce discours est la seule façon de pouvoir sortir de l’H.P. (3)

 Et si on y allait quand même ?

Ce qui pourrait peut-être faire la différence et qui ferait que cette première mad pride parisienne ne bascule pas dans la publicité gratuite et la propagande pro-labos. Ce serait d’y voir apparaître des messages clairement hostiles aux industries pharmaceutiques et à leurs alliés ainsi que des éléments de remise en question radicale (au sens de prendre le problème à la racine) des concepts de « folie » et de « santé mentale ». Que ce soit l’occasion d’y apprendre d’autres manière de s’envisager, de vivre nos corps, nos souffrances. De mettre d’autres mots que ceux des psys pour nous dire nos désirs et nos besoins de transformations.(4)
Et puis d’une manière ou d’une autre que la mad pride déborde du cadre prévu par ses organisateurs et soit ce qu’elle est dans les autres pays : un bel élan de libération collective faisant table rase des étiquettes et des doctrines !

Un bel avenir s’annonce pour les anormaux dans un monde de plus en plus dingue, pourvu qu’on ne se borne pas à réclamer notre « intégration » à ce monde entre Ste anne et l’hôtel de ville !

Puisse cette première édition parisienne être autre chose qu’un chantage au respect des diagnostiques et des posologies de traitements…

Puissions-nous être assez fous, indociles et subversifs pour en finir avec la psychiatrie et le monde qui va avec…

Cet article a été composé
par un survivant de la psychiatrie parmi d’autres
qui n’appartient à aucune secte, ni association, ni parti

(suite…)