A PROPOS DE LA MAD PRIDE et du discours dominant sur la psychiatrie

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La madpride à l’origine a était impulsée par des survivants de la psychiatrie et reste toujours un moment convivial de dénonciation de ses pratiques. Sera-ce également le cas en france où le premier appel à une madpride est le fait d’associations directement ou indirectement complices de l’industrie pharmaceutique ?

Vous avez dit mad pride ?

La première mad pride eut lieu à Toronto le 18 septembre 1993, baptisée alors Psychiatric Survivor Pride Day (jour de fierté des survivants de la psychiatrie) en réponse aux préjugés dont furent victimes des habitants d’un centre d’accueil du quartier de Prakdale du fait de leur vécu psychiatrique. Cette journée d’action fut reconduite chaque année et fut reprise dans d’autres villes à travers le monde telles que londres, vancouver, turin, new york…
La madpride fut donc impulsée par des usagers, d’ anciens patients et des survivants de la psychiatrie avec généralement un mélange incongru de propositions festives et revendicatives, un moment convivial de dénonciation et de refus des violences de la psychiatrie .

Vous avez dit déstigmatisation ?

L’affiche la plus répandue pour appeler à une première mad pride en france le 14 juin 2014 se veut « un appel à un événement revendicatif et décalé (…) un grand moment d’expression libre. » Tandis que quelques revues spécialisées et des radios locales ressassent ce qui serait un des enjeu majeur de cet évenement : lutter contre la stigmatisation. Si la mad pride ne visait que la destigmatisation tous les participant-es risqueraient de travailler à leur insu pour l’essor des marchés pharmaceutiques.
Les campagnes de destigmatisation, font partie intégrante des stratégies de marketing appliquées par la plupart des grosses compagnies pharmaceutiques.(1) Au même titre que le contrôle des prescriptions, le dépistage précoce , l’abaissement des seuils admissibles, l’élargissement des indications nosographiques, l’amélioration de l’observance, la corruption des autorités de pharmacovigilance, la falsification des données de recherche, l’invention de pandémies, l’utilisation de cobayes…(2) Ces campagnes sont des enjeux financiers considérables pour les entreprises qui vendent des médicaments et les maladies qui vont avec.
Rien de telle qu’une destigmatisation réussie pour montrer à toute la population qu’être fou c’est être presque normal et que donc chacun, n’importe qui, peut-être suffisamment déprimée ou bi-polaire pour se faire traiter. Finalement ce n’est pas si grave , ça peut arriver à tout le monde et on peut même l’assumer au grand jour, en tirer fierté et défiler dans les rues. « On a tous un petit grain de folie !» proclame l’affiche. Il suffit juste de rajouter le discours courant sur la plupart des troubles psychiques et leur traitement pour nous transformer tous en promoteur ordinaire de benzodiazepines.
Sauf que les intérêts de celui ou celle qui ira faire le fou à la mad pride ne sont pas exactement les mêmes que ceux de sanofi-aventis, pfizer, roche, ou novartis par exemple. Alors que la plupart d’entre nous rêvons d’un monde enfin vivable où chaque singularité aurait sa place avec tout ce que cela suppose de souffrance en moins, les marchands de molécules n’espèrent qu’accroître leur clientèle avec tout ce que cela suppose de cynisme et de mépris de la vie.

Et surtout… Que chacun joue son rôle !

Entre-temps la plupart des médecins psychiatres, des médias, des associations de patients avec la complicité de l’entourage et des forums internet auront bien jouer leur rôle de relais, parfois inconscient,  de la propagande de l’entreprise.
Chacun semble avoir répondu positivement aux tests comportementalistes les plus rudimentaires : éviter la souffrance, fuir l’effort risqué de s’informer, ne pas questionner plus radicalement sa position, en particulier si on en obtient ou espère en tirer quelques privilèges, aspirer à la paix et à la déculpabilisation.
Il faut savoir qu’être souffrant, ainsi qu’accompagner une personne en détresse, bien qu’agissant à des niveaux très différents , s’accompagnent de forts sentiments d’angoisse et de culpabilité.
Dans un monde où le modèle économique prédominant est le capitalisme, toute souffrance est comme décuplée par les valeurs qu’on lui associe : la faiblesse, l’isolement, la mort… Rien alors ne soulage plus que de savoir qu’il existe un nom à cette maladie, qu’il y a déjà eu des recherches sur le sujet et qu’un traitement existe. Ce besoin de réassurance est tellement fort qu’on se trouve prêt à endosser le premier diagnostique venu et à prendre le remède correspondant les yeux fermés – dussions-nous le prendre à vie. Les marchands de pilules le savent mieux que quiconque et savent depuis longtemps en tirer bénéfices avec la caution de la plupart du corps médical.
On pourra même devenir le propre expert de sa maladie, apprendre par cœur le pourcentage de la population touchée, se sentir très concernés par certains symptômes, défendre avec passion les dépistages précoces, les dernières innovations en neurologies et offrir des services de publicité gratuite à tout ses amis en débitant le contenu de la brochure signée Big-pharma.
Accessoirement on aura passé sous silence les possibilités de réussir un sevrage progressif, évoquant à peine les risques d’un sevrage brutal parce qu’on a besoin de clients dociles ou de consommateurs irresponsables qui décompensent à tout va, pour faire du sevrage un tabou.

Serait-ce de la paranoïa ?

Il se trouve que les bureaux de la communication chez sanofi par exemple, on déjà pris les devant pour museler les journalistes dissidents, récompenser les médecins fidèles ainsi que pour inciter les patients à ne plus remettre en cause leur prescription.
Voilà à présent que leurs associations de terrains récupèrent ce qui était à l’origine un mouvement de contestation de leur suprématie. C’est un peu comme si l’appel à la première gay pride avait été rédigée par des hétéros compréhensifs pour faire connaître les préjugés dont sont victimes les minorités sexuelles… Ce n’est pas une hallucination, ni un délire paranoïaque. Il se trouve qu’actuellement la critique la mieux médiatisée des institutions psychiatriques est portée par des associations dont la plupart sont d’une manière ou d’une autre compromises avec lesdites institutions. Ce n’est pas toujours de leur faute, c’est souvent suite à une somme de compromis pour pouvoir être entendus que ce soit par les ministères ou le grand public.
Par exemple si on ne veut pas voir les gens changer de trottoir quand on leur parle d’électrochoc ou de camisole chimique, il faudra policer un peu son discours et ne pas avoir l’air trop radical. On dira alors plutôt sismo-thérapie et traitement neuroleptique. On ne dira plus psychiatrisés, ni aliénés on dira « usagers en santé mentale » … On aura soin d’éviter de soulever les questions éthiques autour des pratiques de contention ou des limites au non-consentement. On finira par reprendre les mêmes refrains que les fournisseurs : « blablabla, maladie qui touche 1 français sur cent, mais neuroleptique très bien pour masquer symptômes, traitement à vie sans effets secondaires ou presque… » et bien sûr il est impensable d’imaginer que la maladie mentale soit un délire de médecin ou puisse s’étendre au-delà des seuls individus atteints.
Pour la plupart des psychiatrisés intégrer ce discours est la seule façon de pouvoir sortir de l’H.P. (3)

 Et si on y allait quand même ?

Ce qui pourrait peut-être faire la différence et qui ferait que cette première mad pride parisienne ne bascule pas dans la publicité gratuite et la propagande pro-labos. Ce serait d’y voir apparaître des messages clairement hostiles aux industries pharmaceutiques et à leurs alliés ainsi que des éléments de remise en question radicale (au sens de prendre le problème à la racine) des concepts de « folie » et de « santé mentale ». Que ce soit l’occasion d’y apprendre d’autres manière de s’envisager, de vivre nos corps, nos souffrances. De mettre d’autres mots que ceux des psys pour nous dire nos désirs et nos besoins de transformations.(4)
Et puis d’une manière ou d’une autre que la mad pride déborde du cadre prévu par ses organisateurs et soit ce qu’elle est dans les autres pays : un bel élan de libération collective faisant table rase des étiquettes et des doctrines !

Un bel avenir s’annonce pour les anormaux dans un monde de plus en plus dingue, pourvu qu’on ne se borne pas à réclamer notre « intégration » à ce monde entre Ste anne et l’hôtel de ville !

Puisse cette première édition parisienne être autre chose qu’un chantage au respect des diagnostiques et des posologies de traitements…

Puissions-nous être assez fous, indociles et subversifs pour en finir avec la psychiatrie et le monde qui va avec…

Cet article a été composé
par un survivant de la psychiatrie parmi d’autres
qui n’appartient à aucune secte, ni association, ni parti

(1) Maladies à vendre (les inventeurs de maladies) reportage d’Arte

(2) Les mécanismes de la fabrique du patient sans remede n°4

 (3) GUIDE POUR DECROCHER DES MEDICAMENTS PSYCHOTROPES EN REDUISANT LES EFFETS NOCIFS pdf

(4) Friends make the best medicine en anglais sur le site the icarus project

 

 

3 commentaires

  1. Article très juste. Juste deux critiques:

    (1) Bien que les « médicaments » psychiatriques soient le chaînon essentiel liant le vécu des psychiatrisés et l’industrie pharmaceutique via les les « médecins », la problématique des cachetons est essentiellement la même que pour toute substance psychoactive: si on me force à avaler un antipsychotique, je vais (très) mal le prendre, de la même manière que si on me force à fumer un joint alors que je ne le souhaite pas, je vais très très mal le prendre. Au delà de thématiques importantes (importance du marketing pharmaceutique et paternalisme médical confinant à la manipulation mentale ou même à la dérive sectaire) l’élément essentiel et conflictuel reste malgré tout le consentement de la personne qui bouffe le cacheton.

    (2) On peut faire des liens avec le capitalisme. Pourquoi pas, d’ailleurs: il s’agit effectivement de la trame dans lequel évolue cette discipline, l’association FondaMental en étant un des plus tristes acteurs. cela étant, le capitalisme n’est pas l’élément déterminant en cause. On pourrait citer le totalitarisme, le familiales me malsain, la psychanalyse sauvage, et de manière bien plus pernicieuse, la tentation qui vit en chacun de nous a des degrés divers de vouloir imposer certaines choses pour le bien d’autrui, surtout quand cela touche des éléments ataviques tels que le concept flou de « santé » (faites l’effort de définir la « santé » pour vous convaincre qu’il s’agit d’un concept flou…).

    On pourrait disserter à longueur de temps sur les deux points ci-dessus. Il demeure que votre article expose assez clairement les mécanismes malsains qui sous-tendent la récupération de la mad prise par des gens qui voudraient en faire une forme de téléthon en faisant pleurer dans les chaumières.

    Je vis régulièrement les situations que vous décrivez, devant atténuer mon langage et ma description de l’univers psychiatrique pour le rendre présentable, apparemment rationnel. Et vous comme moi constatons que les mots perdent leur sens, et qu’il nous est difficilement possible d’appeler un chat un chat. Mais j’ai trouvé une parade assez efficace à ce problème, et ce en trois temps: Premièrement, demander les dossiers médicaux pour pouvoir effectivement baser son argumentation sur du concret. Deuxièmement, comprendre précisément le cadre scientifique dans lequel la psychiatrie prétend évoluer, et constater que tout à sa racine dans la volonté officielle de faire le bonheur d’une personne malgré elle, et y compris contre elle. Troisièmement, dans une discussion publique, toujours exposer un cas concret bénin, ou apparemment anecdotique, et expliquer comment la science induit une grille de lecture fallacieusement objective fournissant la couverture sous laquelle se masque le souhait du médecin de soigner à tout prix, pour le bien de la personne, sans son consentement, un point anecdotique qu’il voit dans son tableau clinique. Beaucoup de situations de psychiatrises rentrent dans un tel schéma discursif.

    Arriver à faire comprendre à un tiers que le psychiatrisé est nettement plus prisonnier d’un tableau clinique et surtout des conditions dans lequel le tableau clinique est dressé que d’une hypothétique maladie mentale, c’est un grand pas de fait. Mais il faut le faire très progressivement, car tous les dysfonctionnements et le rationalisme médical à géométrie variable que nous rencontrons en tant que psychiatrisés sont difficilement concevable pour une personne qui ne s’est pas faite enfermée. (Et sont difficilement concevable pour une personne qui ne s’est faite enfermée qu’une ou deux fois aussi, soit dit en passant.)

    Mais cela marche. C’est déroutant, somme toute un peu efficace, et le moyen idéal de faire rentrer dans ses chaussettes l’ego d’un infirmier qui tiendrait un stand d’information sur la schizophrénie, par exemple. La difficulté réside seulement dans le fait de ne dévoiler que 5 pour cents de ce qu’on a subit de peur que le témoignage factuel paraisse délirant.

    Dedrammatiser le concept de maladie mentale est dangereux: on s’expose à une banalisation de la privation de liberté en psychiatrie sous le prétexte fumeux que chacun de nous serait un peu fou quelque part. Renvoyer la balle en demandant des définitions de la folie, de la santé, de la « schizophrénie », de la maladie, en demandant toujours à revenir sur des cas concrets plutôt que sur des généralités, cela fonctionne dans un débat public. Il faut toujours veiller à rembarrer efficacement l’interlocuteur qui joue le joker du pathos, magnifiant la souffrance, dramatisant à l’excès les problèmes familiaux, prétextant que cela arrive à tout le monde, mettant en avant le concept de chronicité des pathologies mentales sans préciser s’il observe la chronicité à l’aune du nombre d’internement ou s’il cautionne les internements en utilisant l’argument de la chronicité. Tous les arguments sont démontables. Cela nécessite seulement de creuser la « science » sous-jacente en gardant la tête suffisamment froide pour ne pas se laisser submerger par le pathos de la souffrance personnelle passée artificiellement reconstituée, de la souffrance hypothétique de personnes internées en ce moment même, ou encore de la souffrance que la médecine nous prédit qu’on risque de s’infliger soi-même si on n’arrête pas les joints, si on ne prend pas nos antipsychotiques, ou pire encore, si on ne mange pas nos cinq fruits et légumes par jours avec des compléments alimentaires en vitamine B12.

    Vous aurez remarqué dans la dernière phrase que ne pas manger des fruits et des légumes chaque jour puisse être considéré comme un état mental manifestant un danger pour soi-même. Une forme d’auto-agressivité inconsciente à peine moins dramatique que l’anorexie mentale… C’est un exemple parmi d’autre permettant de faire saisir le prisme « scientifique » dans lequel évolue la psychiatrie, et les dangers qu’il y a à courir dans les rues en prétendant que nous sommes tous un peu fous, avec des banderoles Pfizer, Astrazeneca, Mildt et FondaMental derrière et devant nous.

    Pardon pour la longueur de cette réaction. Et merci pour votre article si juste.

  2. Je suis d’accord. Les personnes ayant quelquechose de particulier dans leur psychique, ne revendiquent pas le « droit à la différence » (reference à la Gay Pride) mais à l’égalité sur le plan citoyen.
    François, président d’une nouvelle association : « Neptune » : http://forumpsy.net

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